Au rythme du paysage

Exposition en 2023 à la Galerie Eva Vautier, Nice











Vues de l'exposition © François Fernandez
ISLANDE
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  • Au rythme du paysage Extraits du texte de Chiara Palermo […] L’image est le résultat d’une communication sans discours. Dans un entretien de décembre dernier, l’auteure révèle les modalités de son processus de prise de vue. Il se situe à la rencontre d’une image qui devait surgir d’un mouvement de la caméra, un mouvement fruit d’une maîtrise extrême, nécessaire pour ne pas perdre complètement la netteté de la photographie et dans le même temps, immaîtrisable. Ce mouvement devait introduire un élément involontaire, obliger à des tentatives inachevées, rendre au paysage le mystère que l’on ne peut pas « représenter ». La rencontre avec la lumière devient décisive ainsi que le cadrage et pourtant ils ne suffisent pas. La réussite de la photographie tient à ce miracle d’un « écart » entre les choses : le mouvement de l’artiste pendant la prise de vue photographique produit la juxtaposition de plusieurs images rendant au paysage son devenir autre. […] La photographie a un caractère onirique et elle implique pourtant la présence du réel à l’intérieur du dispositif créatif, sans artifice ni volonté illustrative, par la présentation d’éléments ayant leur propre valeur de réalité et se détournant de toute prétention suggestive. Par sa volonté de présenter cette réalité comme doublée par la pluralité des images qui la désignent, l’artiste produit des situations plutôt que des mises en scène d’un paysage. Le paysage est habité de vie, bien que tout communauté humaine demeure absente, le mouvement de l’image dans sa « réalité à elle » produit la vie. En ce sens, la proposition de quelque chose d’originaire ou brut qui est le spectacle et « le double » de ces paysages n’a rien de nostalgique ou romantique mais propose une prise de conscience de l’écart constitutif de nos représentations et de nos valeurs. C’est seulement à partir de ce contexte que la simplicité ou la pauvreté du discours peuvent être interprétés dans leur complexité : ils ne sont pas opposés à notre modernité — fuite de notre monde vers un ailleurs, la nature — dans une dichotomie dialectique, mais au contraire ce sont des éléments qui complexifient, ouvrent, désorientent notre histoire : ils relient la norme de nos récits au principe de la vie et au regard du spectateur posé sur le présent, un regard qui ne sera pas transparent. Notre histoire se relie à celle de l’eau et à ce qu’elle offre d’immaîtrisable. L’intime du paysage qui apparait nu — sans la présence humaine et sans construction artificielle — se charge aussi de cette multiplicité de voix qui habite le silence quand il devient « rythme » avec ce mouvement caché des images. Notre posture ne pourra plus être celle d’une prise de vue sur le réel mais plutôt celle d’une « intentionnalité inversée » selon laquelle nous sommes vus plus que voyant : le paysage nous regarde, comme les analyses de la phénoménologie nous l’ont appris. En tant que spectateur, il ne nous reste qu’à jouer ce jeu. Celui de retrouver une passivité fondamentale dans laquelle l’image nous suggère ces significations provisoires : nous jouons et « nous sommes joués » par l’opacité d’une Histoire d’eau qui nous enveloppe, dans laquelle on peut se perdre et se reconnaître, et dont il faut embrasser le rythme. Chiara Palermo est Maîtresse de Conférences en Philosophie de l’art à Paris Panthéon - Sorbonne, chercheuse associée ACCRA - Université de Strasbourg et directrice du programme « Repenser l’histoire à partir du corps » pour le Collège International de Philosophie - Paris