Nostalgie du présent

  • La Bande de Simon Des visages d’enfants, drôles ou émouvants, accrochent l’œil au fil des pages de l’ouvrage de Simone Simon, Nostalgie du présent. Mais il ne s’agit pas de simples portraits : ces visages sont confrontés à ceux des adultes qu’ils sont devenus. Ce sont pour la plupart des artistes ou des comédiens qui apportent une dimension supplémentaire, car leur regard d’aujourd’hui et celui d’hier est empreint d’une même intensité ou d’une même lumière. Le hors champ, niché dans les interstices du réel et de l’imaginaire, est ce qui frappe en premier dans une photo. Par un effet miroir, Simone Simon nous offre un plus grand mystère : que s’est-il passé entre les deux clichés pris à plusieurs années d’intervalle ? Cette confrontation pose une question troublante : n’est-ce pas l’enfant qui porte déjà l’image de l’adulte ? N’est-ce pas lui qui contient son propre avenir qu’il projette par l’intermédiaire d’une aura, telle une voyance ? Et s’il est habituel de dire que l’adulte porte en lui la mémoire de l’enfant qu’il fut, le travail de Simone Simon nous donne à penser l’inverse. Par une sorte de paradoxe temporel, un retournement de la flèche du temps, la mémoire du devenir de l’adulte est contenue dans le visage de l’enfant, y compris la future érosion du temps et ce passage insupportable du lisse au rugueux. Comme si le temps n’existait pas, en tout cas pas de la manière dont on l’imagine. Comme si tout était déjà écrit. Comme si l’enfant, malgré son innocence, était déjà vieux, éreinté par le poids de l’adulte qu’il sera. Les deux images se rejoignent à la manière d’une bande de Möbius (1). Elles forment ainsi un chemin sans fin autour d’un épicentre invisible : l’histoire d’une existence, la soudure de deux masses situées dans deux espaces-temps différents. Ces doubles portraits évoquent la gravure de M.C. Escher (2), Lien infini : deux spirales s’unissent pour dessiner deux visages, et leurs fronts s’entrelacent, formant une double unité, créant une relation inattendue entre la fameuse bande de Möbius et la double hélice de l’ADN. Entre ces deux photos, « l’empreinte » que l’on devine est « phénoménale » au sens kantien du terme, dans la mesure où elle appartient au domaine de la réalité sensible dans l’espace et dans le temps, mais phénoménale aussi au sens prodigieux du mot : le prodige de ce qui demeure imperceptible, tapi au cœur de l’inné et de l’acquis. Nostalgie du présent — titre qui fait référence à un texte de Paul Auster3 —, n’est pas seulement un étonnant et magnifique recueil de photos, il représente une réflexion sur les cicatrices de la mémoire, et peut-être aussi sur le mystère de la vie. Un beau livre pour chaparder des morceaux d’éternité. Jean-Christophe Pichon (1) - Möbius (August Ferdinand), astronome et mathématicien allemand (1790-1868). (2) - Escher (Maurits Cornelis), graveur (1898-1972). (3) - L’Invention de la solitude. Exposition des photographies issues de l’ouvrage à la FNAC, Monaco, en 2006
Bernard PAGÈS
Renaud LAYRAC
Ben VAUTIER
Natacha LESUEUR
Cécile et Anne PESCE