Les portes du St Pierre

  • Une histoire inaperçue La tache de l'historien, selon Walter benjamin est de rendre la parole à une humanité inaperçue, "sans nom". (1) C'est à cette même tâche que semble dédié le travail documentaire de Simone Simon. Les photographies présentées ici portent un regard sur une histoire tenue à l'écart, sur une dignité travestie par la lutte pour la survie. Ìl ne s'agit pas d'une enquête sur des traditions occultées, des identités menacées, ni sur les raisons de leur abandon. L'oeuvre de la photographe ne cherche pas d'explication; elle donne la parole, témoigne, reconnait ceux qui demandent à être reconnus. Commencé comme une recherche d'image, ce projet s'est rapidement trouvé confronté à l'urgence de l'interview, qui seule pouvait "donner la parole" aux protagonistes des photos. L'interview répond ici à l'impossibilité de tout autre commentaire. L' absence d'explications de l'auteur se mêle au trouble du lecteur qui découvre une réalité qu'il faut dénoncer: la résonance des images et des paroles nous interroge sur les responsabilités d'une telle réalité. Les interviews décrivent une vie que les photographies seules rendent difficile à imaginer. Pourtant la parole des personnes interviewées témoigne de la présence d'une communauté, là où les images n'évoquent qu'un abandon extrême. Les bâtiments sont malsains, les enfants, souvent malades en raison des conditions de logement, se promènent parmi les rats: des femmes souffrent, vivent dans l'interdit.
  • Les femmes sont les premières victimes de la violence et de la discrimination. L'indépendance économique étant difficilement envisageable, et la solitude faisant de la femme un objet de dérision, les histoires de mariages forcés sont courantes. Les cris de solitude des personnages de Chantal Chawaf (2) semblent alors trouver un écho dans les paroles des interviewées. Somme-nous ici dans un "inframonde" ? Une mère raconte les cafards dans la nourriture de son bébé. Aucune photo n'illustre cette réalité, et pourtant cette image est présente à nos yeux, comme les autres, auxquelles nous n'étions pas prêts. Nous sommes confrontés au difficile et long périple vers le relogement. Cependant malgré la dureté des conditions de vie, il ne manque ni les balcons fleuris, ni la confiance, ni les souvenirs des bons moments, la générosité qui illumine le quotidien, le partage entre voisins, la chaleur d'une "famille" . Le lecteur découvre alors les larmes qui accompagnent le relogement; le sentiment d'appartenance à ces lieux est fort; et ce que les gens demandent avant tout, ce sont les conditions pour rester. "On paye un loyer" nous disent ces femmes - quand les images exposent les ordures accumulées, l'absence de sécurité, l'abandon. Simone Simon nous dit la rage et "la poésie" du quotidien de ces famille. Ses documents ne manquent ni d'ironie ni d'espoir: ils racontent des vies simples qui demandent à être vues, entendues, reconnues. Chiara Palermo Docteur en philosophie — Université de Strasbourg le 24 Mai 2009 (1) "Parapilomènes et variantes des thèses sur le concept d'histoire", "sur le concept d'histoire" 51940) Ecrit français, Paris, Gallimard. (2) Parmi les derniers romans de cette auteure, située dans une banlieue particulièrement inhospitalière:Chantal Chawaf, Inframonde Paris. Des femmes-Antoinette Fouque , 2005